Vous êtes cordialement invités dimanche 21 octobre à 18h15, pour découvrir une première ébauche de la création « Carnage » de la cie FACT !

► entrée libre
► en extérieur : pensez à vous couvrir
► apéro : apportez quelque chose à partager !

Note d’intention

Après quinze années passées en foyer, Jordy Brouillard prend son indépendance et quitte l’institution. Il a dix-huit ans. Quelques mois plus tard, il est retrouvé mort dans une tente plantée au milieu d’un parc, à Gand. Mort de « privations », selon les autorités. Cette information fut rapportée dans la rubrique « faits divers » de journaux flamands puis relayée dans la presse francophone. Elle déclencha une vague d’émotion devant un constat qui paraissait absurde : comment peut-on mourir de faim et de soif à dix-neuf ans, en 2016, dans un lieu public en Belgique ? Jordy Brouillard fut oublié à plusieurs niveaux : de ses proches, des institutions, du politique.
La mort de Jordy Brouillard s’est fait, pour nous, l’emblème de toutes ces fois où nous fermons les yeux et refusons de voir les conséquences de notre déni. Nous avons investigué autour du décès de Jordy et avons pris conscience que son cas n’était pas unique. Notre recherche s’est basée à la fois sur des matériaux documentaires existants, dont le documentaire Dix- sept ans de Didier Nion, sur des rencontres et dans notre quotidien. Cette recherche a confirmé notre intuition: il existe une multitude d’oubliés, et autant d’« oublieurs » et nous sommes tous à la fois les « oubliés » et des « oublieurs » de quelqu’un ou de quelque chose.
Notre recherche a rapidement mis en lumière un point commun entre différentes situations : la présence du désir. Parfois maladroit ou informulable, l’appétit était toujours là. Son expression prend de multiples formes ; étouffées, violentes ou tragiques mais toujours éclatantes d’espoir. Ce goût du vivant est particulièrement féroce dans le temps de la jeunesse, cette fin de l’adolescence qui n’est pas encore l’âge adulte. Le temps où l’imaginaire de l’enfance rencontre les réalités du monde, que tout n’est que possibles et désillusions à la fois.
Ce désir n’est pas toujours auréolé de bonheur et de succès. Même, le plus souvent, dans le cas de ceux que nous appelons « les oubliés », le réel rattrape l’espoir d’un futur radieux. Les projets contredits se transforment en frustration, puis en rage, puis en colère. Et c’est cet endroit, à la fois commun et particulier à chacun et que nous avons contenu, réprimé, qui explose.
Dans Dix-sept ans, Didier Nion filme Jean-Benoît en forêt, qui tourne frénétiquement en rond avec sa voiture : «Avec ma voiture j’vais en forêt puis j’fais des tours. Ça s’appelle carnage. C’est pareil. J’fais carnage avec la voiture, j’fais carnage avec ma vie.»
Ces explosions, quelles que soient leurs ampleurs, trouvent toujours leur terreau dans le désir. Qu’y a-t- il à voir au-delà de la violence ou de l’absurdité ? Nous souhaitons interroger cette colère parce qu’elle n’est pas seulement douleur néfaste et cruelle : elle est aussi l’expression de notre individualité, de nos particularismes et de notre capacité à être « actifs au monde ».
Au plateau, six personnages, issus de matière documentaire, sont fictionnalisés de manière poétique. Ils évoluent dans un monde qui ne voit jamais passer l’hiver. Ils se rencontrent dans une guinguette endormie, un espace qui fut jadis lieu de fête, à l’image d’une enfance insouciante mais révolue. Chacun est porteur d’un désir qui rencontre celui des autres. Tous existent, se croisent, croient, désespèrent, hurlent, explosent. Cet enfermement à plusieurs dans un même lieu permet de jouer sur le singulier et le collectif, l’isolement et le groupe et de tracer des trajectoires.
Les six personnages sont peut-être tous des hypothèses de Jordy. Jordy a peut-être perdu espoir, il s’est peut-être trouvé confronté à une réalité insurmontable. Jamais nous ne saurons quels furent précisé- ment ses derniers moments dans cette tente. L’histoire que nous allons raconter est peut-être la sienne, celle d’avant l’oubli. Celle des carnages, des élans d’existence. Parce que «faire carnage», aussi absurde et vain que cela peut sembler être, est un geste de vie.
C’est par des « petites » histoires aux parcours particuliers que nous souhaitons aborder le sujet. Nous avons été éveillés par certaines histoires, proches ou lointaines et nous souhaitons éveiller de la même manière. Il ne s’agit pas de théoriser des existences particulières ou de faire de ces récits de vie des objets politiques. Pointer du doigt, chercher des responsables n’est pas l’objet de notre travail. Notre vision est plutôt humaniste, au sens d’interroger l’humain, ce qui le construit ou le détruit.